Adapter l'otome game à la française : le Paris risqué d'Ubisoft
City Of Love : Paris est un jeu mobile sorti sans être en une du moindre magazine, et pour cause, il s'adresse à une cible très précise de par son genre très peu commun en France : le jeu de drague pour filles*.
*malgré que ce soit la traduction pour le genre "otome game", cela n'exclut évidemment pas tous ceux qui aiment les hommes.
Le jeu, disponible sur iOS et Android depuis le 2 février 2017, se compose en épisodes qui sont rendus disponibles au fur et à mesure, chaque épisode étant découpé en chapitres.
Personnages
A la première vue, il est vrai que les personnages ont l'air assez cliché... (ce qui aurait été logique pour une histoire romantique) mais à force de jouer, la sensation s'estompe pour certains personnages, ce qui n'est pas plus mal.
Quelques exemples :
- Louise : la chef rédactionnelle, ne peux pas vous saquer
- Raphaël : le patron du magazine, trentenaire sérieux mais bienveillant
- Kat : votre "best friend forever" depuis la fac, experte en histoire
- TJ : l'immigré américain, créateur de mode et super sympa
- Tristan : le rockeur brun ténébreux, qui drague extrêmement maladroitement
Le cast ne m'a pas l'air très varié et reste fort classique, mais l'exercice étant déjà assez difficile, il est compréhensible qu'Ubisoft ne tente rien de risqué de ce côté là pour son premier essai.
Gameplay
Tout d'abord, contrairement à la majorité des Visual Novel japonais, City of Love a adapté la sauce à sa façon en l'adaptant aux mécaniques déjà vues du free-to-play. On peut ainsi faire tout le jeu gratuitement, mais avec des sessions de jeu très courtes, et il faudra passer à la caisse - ou bien en faire la pub autour de soi - pour aller plus vite.
Le gameplay principal du jeu consiste donc à lire des discussions dans des lieux différents, et à parfois utiliser des boutons : un choix narratif dans dans un dialogue, une pensée à soi-même ou un simple changement de lieu. Autant dire que pour le coup, toutes les occasions sont bonnes pour faire dépenser de l'énergie au joueur.
Parfois, on a même l'occasion de recevoir un appel téléphonique d'un personnage du jeu qui fait même vibrer notre smartphone.
Chaque épisode est l'occasion de débloquer plusieurs "souvenirs", l'équivalent des Event CG des VN japonais, que l'on ne peut rencontrer qu'à certaines conditions (être suffisamment apprécié par quelqu'un) et qui ajoute donc un peu de replay value pour les plus passionnés du jeu.
Lorsqu'un halo blanc apparaît autour de l'écran, c'est que la réponse que l'on va donner va forcément influencer l'appréciation qu'a la personne pour nous, et qu'une bonne réponse pourra débloquer plus tard un souvenir avec elle.
Chaque soir, il nous est donné gratuitement 100 points d'énergie non cumulables. Un bonus est donné lorsque l'on termine un épisode, histoire de récompenser le joueur et de lui donner envie de rapidement faire la suite.
Pour remplir son énergie sans attendre, on peut bien sûr aller sur la boutique et... acheter des macarons. Probablement parce que c'est une petite pâtisserie coquette very French, j'imagine...
Histoire
Concrètement, par rapport à un otome game japonais, on remplace ici les ados lycéens par de jeunes adultes parisiens : le jeu a l'air de viser donc les personnes de cette tranche d'âge (probablement car ils ont bien plus de moyens financiers) sans pour autant exclure les ados qui apprécieront de se projeter dans un futur proche.
Le choix d'une héroïne américaine récemment arrivée à Paris n'est pas anodin, car cela permet à chacun (le jeu étant disponible en français / anglais / espagnol) de se retrouver dans ce personnage qui va démarrer une nouvelle vie dans un pays encore inconnu.
On commence donc par emménager en colocation avec sa meilleure amie et être embauchée par le plus grand magazine de mode parisien, puis découvrir à ses dépens la compétitivité animale du milieu (...Ugly Betty ?), pour à force être emmené vers un mystère de trésor caché par Héloïse d'Argenteuil que l'on nous demande d'investiguer...
Ce dernier point a l'air de rendre le jeu en effet moins cliché qu'il n'en n'a l'air, en y rajoutant des complots et des artefacts historiques mystérieux. Il faut certes accrocher, mais pourquoi pas ?
UI
L'interface est en général très épurée, avec du blanc en couleur primaire agrémenté de couleurs pastels (surtout bleu et rose).
Un bouton "share" est toujours présent en haut de l'écran, et un appui dessus ira prendre une capture d'écran avant d'ouvrir immédiatement l'écran de partage sur les réseaux sociaux. Au passage, le nom du jeu est rajouté sur l'image, et le message pré-rempli pour le partage inclura un "code parrainage" pour tenter d'avoir de l'énergie gratuite grâce aux autres joueurs, qui en bénéficieront aussi. En soi, une bonne façon de pousser à la promotion naturelle du jeu via les réseaux sociaux.
On note aussi un mélange récurrent de polices serif et sans serif, ce qui donne un petit côté chic au tout. Les fenêtres de dialogues sont petites et discrètes, contrairement à une grande majorité des VN où elles prennent un tiers de la hauteur de l'écran. Elles ont aussi l'avantage de ne jamais apparaître en bas de l'écran pour éviter d'être cachées par le pouce du joueur.
Niveau réactivité, les menus font usage de beaucoup d'animations assez longues qui empêchent toute action pendant qu'elles sont en cours. Concrètement, si vous ouvrez un menu par mégarde, il faudra attendre de longues secondes avant que le bouton de retour soit cliquable...
Graphismes
Les décors sont vraiment magnifiques et très détaillés, dans un style un peu "flat" qui se mêle très bien avec le chara design du même genre. Ils bénéficient même de quelques animations, comme des étoiles qui brillent la nuit ou des feuilles qui tombent des arbres. Le genre de petit détail que je pense être assez rare dans les VN, où une image statique suffit la plupart du temps.
Je vous invite chaleureusement à contempler les autres décors du jeu sur la page ArtStation de Sylvain Sarrailh, le talentueux artiste qui est derrière tout ça :
Pour ce qui est des personnages, un look "manga mais pas trop non plus" qui est - surprise ! - animé en temps réel à l'aide de Live2D : une solution japonaise largement utilisée dans les VN professionnels.
Rien que ce petit détail montre qu'Ubisoft voulait faire un VN digne de ce nom en y mettant les moyens ! Les animations rendent plutôt bien, à part peut-être le mouvement de la bouche qui est un peu étrange sur certains personnages.
Son
Les musiques d'ambiance font leur travail sans être extraordinaires, mais leur faible nombre peut peut-être devenir un peu redondant à force de jouer. Heureusement que les sessions de jeu sont plutôt courtes.
L'appui sur des boutons de l'interface est toujours agrémenté d'un petit son de cloche, aigu si l'on valide quelque chose, et grave si l'on retourne en arrière, un effet sonore simple mais efficace.
Réception
D'après les chiffres du Play Store, le jeu a été installé entre 1 et 5 millions de fois, ce qui n'est pas négligeable même s'il est gratuit. Pour ce qui est des commentaires, la plupart saluent effectivement les graphismes et l'histoire, mais ils restent partagés quant au système free-to-play qu'Ubisoft a voulu mixer avec le Visual Novel : certains pensent que l'on ne peut vraiment pas jouer suffisamment longtemps sans payer et que c'est difficile à accrocher à l'histoires, d'autres pensent justement que cela permet de prendre son temps et de finir un épisode peu avant que le suivant ne soit disponible.
Sur les réseaux sociaux tels que Twitter et Instagram, on retrouve surtout les messages pré-formatés pour tenter d'avoir des codes de parrainage, parmi quelques avis de joueurs. YouTube propose cependant une grande quantité de Let's play de la part de français, preuve que cela plaît tout de même un minimum.
Pari réussi ?
Le plus critique pour l'import de ce genre de jeu vidéo en France était de réussir à plaire à une toute autre culture sans devoir casser des codes qui ont déjà prouvé leur efficacité.
Il est vrai qu'il existait déjà chez nous, sous forme de manga et de Visual Novel, le fameux "Amour Sucré", mais ce dernier était clairement destiné à une cible très jeune tout en étant à mon avis bien plus "à l'eau de rose" que les otome game japonais.
Ainsi donc, il semble qu'Ubisoft ait assez bien réussi une tâche délicate. Sans représenter non plus un tremblement de terre dans le milieu français du jeu vidéo, cela reste un exemple intéressant de la diversification d'un studio en s'inspirant de ce qui fonctionne au Japon et en l'adaptant correctement à son marché.
Crédits photo
- Bannière des personnages : Ubisoft
- Tout le reste : Screenshots personnels de la version Android